De L’utopie

            Dans son état naturel, la situation de l’homme, présentée plus ou moins négativement (cf. le texte de Lucrèce dans son épopée didactique sur la Nature ou chez Violet-le-Duc, dans son Histoire de l’habitation) n’a rien de profondément problématique, puisque conforme à la Nature, justement.

Les problèmes viennent avec la dénaturation de l’homme (cf. Vercors, les Animaux dénaturés), ce que Rousseau, dans son Discours sur l’origine et les fondements de l’inégalité parmi les hommes, a dénoncé, non sans virulence…

Comment alors trouver le bonheur ?

Puisque le retour à l’état de nature est impossible (sauf pour les adamistes, voire certains écologistes qui vont jusqu’à prôner la disparition à la surface de Gaïa de notre espèce mortifère pour elle), que l’épicurisme non plus que le stoïcisme n’ont empêché la disparition de l’Empire Romain, que le christianisme, malgré sa présence prégnante pendant un millénaire, ne fait que reporter le bonheur dans l’au-delà, il ne nous reste, comme seule solution, que de nous abstraire de ce qui nous perd et, puisque tout est désorganisé, voire va de mal en pis, de privilégier l’organisation, grâce à la raison, ce pour regénèrer des organismes qui, sans cela, seraient définitivement perdus…

L’initiateur de cette démarche est un évêque qui, sans chercher à réformer, ce qui, en langage religieux, se veut toujours un retour aux sources vives supposées égarées, décrit une société parfaite à l’écart du monde et conforme à la raison…

De fait, tout utopiste veut créer un système parfait, c’est son fantasme ; il veut réguler un groupe social qui échappe au changement car, s’il est parfait – et il ne peut que l’être car conforme à la raison , à la logique – il ne peut changer, il échappe à la déliquescence, la déréliction, la décadence ; tous ceux donc qui promouvraient une altération de cet idéal par un changement quelconque, qui le remettraient en cause en le critiquant sont marqués par le Mal et doivent être éliminés comme tels.

Donc tout utopiste cherche à :

Ø  Réguler le temps : la première horloge à échappement, donc qui échappe ainsi aux conditions physiques terrestres dues aux contraintes naturelles (cf. le cadrant solaire avec ses heures d’été et d’hiver, la clepsydre qui se vide) a été créée dans un  monastère : les heures monastiques échappent aux changements des saisons et la cloche scande non seulement la vie des moines mais aussi celle des frères, voire de la communauté humaine qui les entoure. Chacun a un emploi du temps fixe, un agenda au sens étymologique, aucun temps vraiment libre, car tout a son utilité, et rien n’est jamais perdu, puisque tout est efficace. Il n’y a pas de loisir. le planning est strictement suivi, de façon maniaque, voire obsessionnelle: c'est le gage d'un engagement absolu, sans réserve. Aucune perte de temps... cf. dans 1984.

Ø  Organiser l’espace par:

·        une séparation : cloître, mur (asile psychiatrique), barrière (prison), île : d’un côté, l’imperfection, de l’autre, le nouveau monde forcément séparé de l’imperfection actuelle… l’intérêt est aussi d’éviter toute contamination.

·        l’utilisation de la ligne droite, de la symétrie ; on régule l’architecture : pas d’espace non utilisé, perdu, tout au cordeau, vive l’arpentage, cf. Hippodamos de Milet, Le Havre, les architectures massives de Staline, Hitler, Ceaucescu. Des volumes simples conformes aux règles mathématiques élémentaires : la simplicité est aussi la marque de la perfection, cf. la cité radieuse de Le Corbusier. On recherche la duplication. La capacité à répéter la même structure est la marque même, le sceau de l'idéal incarné.

Ø  Maîtriser l’autonomie de la personne. Notons que ce dernier terme est incompatible avec le monde utopique tel que présenté : la loi y vient d’en haut, et non de soi. L’utopiste vise à supprimer l’individualité et ses errances, au minimum parasites, par :

·        Le changement d’identité : soit le nom (cf. monastère), soit un code (cf. camp de concentration – et non d’extermination)

·        Le port d’un uniforme, cf. les animaux sociaux où la fonction se marque morphologiquement. L’idéal de l’utopiste est la fourmilière ou la termitière : identique partout, auto-regénératrice, économique, efficace, un système parfait. La preuve ? Il survit sans changement perceptible sur le très long terme

·        La chasse à l’intelligence qui fait des pas de côté, confronte, discute et, horreur: ose penser à innover. Pas de recherche fondamentale, un utilitarisme étriqué. Un conservatisme assumé. Cf. les Romains et leur MOS MAJORUM. Ils appellent la révolution RES NOVAE, «les choses nouvelles».

·        Une recherche de la constance eugénique, le clonage pour éliminer les tares – et leurs vecteurs, les tarés, cf. le Meilleur des mondes d’Aldous Huxley, 1984, ou d'Ira Levin, un bonheur insoutenable.

·        Une soumission totale au planning, cf. le temps.

·        Une maîtrise absolue de l’hygiène : la douche (inventée par l'armée pour laver x hommes en x' minutes avec x'' d'eau), l’éradication des maladies via la prophylaxie, la chasse aux parasites. Une recherche obsessionnelle de la propreté, de l’ordre

·        L’éradication de toute croyance qui impliquerait un autre monde que celui, réel, de l’utopiste, rejet d’un ailleurs, de tout alien, car la perfection est de ce monde

Donc, en ce sens, les systèmes monastique, scolaire, militaire, carcéral, administratif, sectaire présentent des traits utopiques, ne serait-ce que parce qu’ils prétendent, par leur organisation propre et conforme à la (ou leur ?) logique, organiser des vies organiques qui, sans eux, resteraient problématiques.

Il s’agit de privilégier l’organisation au détriment des organismes.

Les différentes réalisations utopiques

= vos exposés!