Les dernières années de l'Abbé Join-Lambert

Monsieur Join-Lambert souffrit toujours d'une santé très précaire, qui s'affaiblit encore en 1856. Son médecin, le docteur Hélot, lui prescrivit une cure à Cauterets, où il avait déjà séjourné plusieurs fois ; ce séjour fut comme on pense, sans effet, car les témoignages rapportent qu'il était "''malade de la poitrine'', expression qui désignait alors un mal incurable:la tuberculose merci au bacille de KOCH mais surtout à GUERIN et CALMETTE qui mirent au point le vaccin. Il relate dans ses dernières lettres qu'il passait sa journée dans son fauteuil et ne pouvait plus dire la messe. Il s'éteignit à Bois-Guillaume le 24 avril 1857.

Des soucis de toute nature n'avaient pu que hâter l'aggravation du mal ; il s'agit d'abord et avant tout de ceux que lui occasionnait la direction de l'institution, car cet homme, qui avait le goût de l'enseignement et s'attachait à la formation des enfants qu'on lui confiait, se montrait exagérément préoccupé par toutes les questions d'organisation matérielle et par celles de la gestion de son personnel.

Il fut très affecté par les critiques dont il fut l'objet à l'extérieur. Son biographe, l'abbé Pierre Labbé, rapporte que certains parents voulurent profiter des facilités offertes par la nouvelle loi Falloux pour appeler les Jésuites à ouvrir un collège à Rouen ; les pourparlers auraient même été assez loin. En face de la puissante Compagnie de Jésus, le jeune abbé Join-Lambert ne pouvait manquer de s'interroger sur la fragilité de son institution, affaire personnelle, à laquelle son état de santé donnait un caractère encore plus précaire.

Enfin, M. Join-Lambert fut fort attristé par une longue action judiciaire engagée par certains membres de sa famille contre les Pères de Picpus alors très influents dans le diocèse de Rouen. Il se désolidarisa de cette affaire, d'autant plus qu'il avait été ordonné en 1840 par le supérieur de Picpus ; mais le procès, qui au surplus fut perdu par les religieux, mit monsieur Join-Lambert en porte-à-faux avec le clergé du diocèse et l'on comprend les réticences qu'il ne cessa de rencontrer chaque fois qu'il voulut rechercher des professeurs parmi les jeunes prêtres diocésains ; et nous savons que le recrutement des maîtres fut le souci majeur de l'abbé.

Tous ces soucis auxquels il n'était pas préparé, il les supporta silencieusement, par sens du devoir, ainsi qu'il l'exprima un jour à monseigneur Blanquart de Bailleul : "je ne suis point fait pour suivre mes goûts et je prie votre grandeur de n'y avoir point égard". On ne saurait trop mesurer les sacrifices acceptés par Monsieur Join-Lambert, à la tête de sa chère institution.